Mai 2019, le géant technologique chinois Huawei est placé sur une liste noire par l’administration présidentielle américaine, sous la gouvernance de Donald Trump. Boudé par les entreprises américaines, le fabricant est contraint, entre autres choses, d’utiliser pour ses nouveaux téléphones une version Open Source d’Android dépourvue des services et applications de Google. Aujourd’hui, Huawei célèbre en partie son indépendance et présente sa solution de rechange baptisée HarmonyOS. Android et iOS ont un nouveau concurrent.
Article mis à jour le 3 juin 2021
Le marché de la téléphonie mobile est dominé actuellement par Apple avec son système d’exploitation iOS et Google avec Android. De grands joueurs du secteur comme BlackBerry et Microsoft (Windows Phone et Windows 10 mobile) ont croulé sous cette forte concurrence au cours des dernières années et ont pris la décision d’abandonner leur système d’exploitation propriétaire pour se tourner vers celui de Google.
Comme la majorité des fabricants autres qu’Apple, Huawei propose depuis des années plusieurs gammes de téléphones équipés du système Android. Mais suite au décret signé par Donald Trump en mai 2019, le fabricant chinois a dû s’adapter et penser à une solution de rechange à long terme pour s’émanciper de Google.
À court terme, Huawei a dû composer avec la version Open Source d’Android, sans les services de Google qu’il a remplacé par ses propres services et applications « HMS Core » (ou « Huawei Mobile Services »). Ainsi, l’un des premiers appareils touchés par la sanction américaine est le P40 Pro que j’ai pu tester et présenter sur ce blogue. L’expérience utilisateur sur ces nouveaux appareils sans Google est familière à celle des autres appareils Android et le nouveau système de Huawei semble en être tout autant.
Un nouveau système d’exploitation mobile universel pour tous les appareils connectés
Le 2 juin 2021, Huawei a donc présenté son nouveau système d’exploitation mobile lors d’une conférence en Chine où il a aussi dévoilé les premiers produits grand public qui seront nativement équipés de ce dernier (les tablettes MatePad 11 et MatePad Pro 2021, ainsi que les montres intelligentes Watch 3 et Watch 3 Pro).
Fait cocasse lors de l’introduction de la conférence : Huawei a créé une animation mettant en vedette un petit robot qui n’est pas sans rappeler que l’emblème d’Android est… un robot !
Annoncé pour la première fois en août 2019, HarmonyOS (anciennement connu sous le nom Hongmeng OS) n’est pas qu’un système d’exploitation pour téléphones mobiles, mais aussi un écosystème destiné aux différents types d’appareils connectés auxquels il a d’abord été conçu.
Outre son désir d’offrir un écosystème fluide et cohérant entre les divers appareils équipés du système, Huawei a voulu faciliter le travail des développeurs en adoptant une « approche à noyau unique pour tous les appareils ». Concrètement, cela veut dire qu’un développeur n’a qu’à concevoir une seule application qui s’adaptera à tous les types d’appareils fonctionnant sous HarmonyOS, sans code supplémentaire. Espérons qu’ils seront nombreux à s’intéresser au système afin de garnir davantage la boutique d’applications officielle de Huawei (App Gallery) où sont absentes la majorité des applications mobiles les plus populaires.
Huawei affirme que HarmonyOS peut fonctionner sur un appareil connecté n’ayant que 128 Ko de mémoire (OK, pour vous donner une idée, une seule photo prise avec votre cellulaire a une taille d’au moins 30 fois plus grande que ça !). C’est donc dire qu’une panoplie d’appareils (aussi banaux qu’une cafetière !) pourront fonctionner sans problèmes et sans ralentissement avec HarmonyOS.
Un OS inspiré d’Android, mais aussi d’iOS
Il n’est pas étonnant de constater que la base du système HarmonyOS ressemble à Android, mais il l’est un peu plus de voir des similarités avec iOS, le système d’Apple. Huawei semble donc s’être inspiré très fortement du meilleur qu’ont à offrir ses rivaux du point vu graphique et celui des fonctionnalités.
Cette inspiration se trouve notamment sur l’écran d’accueil de HarmonyOS. L’icône de chaque application peut afficher des informations et fonctionnalités liées à celle-ci. Le tout ressemble beaucoup aux Widgets que l’on retrouve sur iOS 14. Je parle plus en détail de l’écran d’accueil ci-dessous.
Quelques fonctionnalités présentées lors de la conférence
Beaucoup d’éléments ont été présentés lors de la conférence du 2 juin. Huawei a notamment fait la démonstration de toutes les possibilités qu’offre son système embarqué sur tout type d’appareils connectés qui peuvent, ensemble, devenir un seul « super appareil » (les Super Devices).
Par exemple, un centre de contrôle sur le téléphone (qui me fait penser à celui d’iOS sur les iPhone) permet d’accéder rapidement à des paramètres et fonctions du téléphone, mais aussi de contrôler tous les appareils connectés autour de lui. Le même centre de contrôle est présent sur téléphone, tablette et montre intelligente. Outre ce centre de contrôle, les tâches effectuées sur un appareil sont aussi répliquées sur les autres et peuvent être reprises sur ceux-ci.
Huawei a démontré la facilité avec laquelle il sera possible d’effectuer certaines tâches entre les appareils, notamment le transfert simplifié de fichiers entre eux. Il a même prévu un « plugin » pour Windows 10 afin que la collaboration entre HarmonyOS et les ordinateurs fonctionnant sous le système de Microsoft soit aussi facile et pratique.
Plus tôt je parlais de l’écran d’accueil de HarmonyOS. Celui-ci peut être configuré selon différents scénarios, autant pour la vie personnelle que professionnelle (un écran pour la productivité, un autre pour le divertissement, etc.). Les icônes peuvent être transformées en Widgets. Avec la connectivité entre les appareils, les mêmes Widgets se retrouvent sur chacun d’eux avec les mêmes configurations.
Par ailleurs, le système introduit les dossiers « intelligents ». Lorsqu’on place deux applications dans un dossier, celui-ci peut ajouter automatiquement des applications similaires. Les dossiers, comme sur iOS (Apple), sont la seule façon de ranger les applications sur HarmonyOS puisqu’il n’y a pas le tiroir d’applications que l’on retrouve sur Android.
Au final, Huawei nous promet un écosystème interconnecté rapide et efficace. Avec HarmonyOS, les téléphones équipés de l’OS devraient être plus durables sur le long terme au niveau des performances que les appareils sous Android qui ralentissent généralement au bout de deux ans après quelques mises à jour majeures.
Une compatibilité maintenue avec les applications Android
Dans l’attente que les développeurs portent leurs applications vers HarmonyOS, ce dernier offre la compatibilité avec les applications Android actuelles. Huawei s’est assuré de continuer la prise en charge des fichiers APK (applications Android). L’expérience utilisateur sera très similaire à ce que l’on est habitué avec Android, tout en profitant des applications les plus populaires conçues pour l’OS de Google.
D’ailleurs, il est important de mentionner que Huawei a conçu son système sur les mêmes bases qu’Android, de sorte que les applications soient codées en Java avec des structures définies dans des fichiers XML, exactement comme sur l’OS de Google. Il n’y a pas que les utilisateurs qui ne seront pas dépaysés, les développeurs sur Android aussi.
La stratégie face à Google : un système d’exploitation ouvert aux autres fabricants
Si la domination des systèmes Android et iOS est sans équivoque, HarmonyOS a peut-être une chance de se tailler une place parmi eux, et ce, même si Huawei a connu une chute importante dans le classement mondial des meilleurs vendeurs de téléphones intelligents (lire cet article de Cnet France) suite aux sanctions américaines (et la pandémie qui n’a pas aidé !).
HarmonyOS est une plateforme Open Source (le projet est nommé « Open Harmony »), soit à code libre et ouvert. Cela signifie que d’autres fabricants pourront utiliser le même système pour leurs appareils.
Selon certaines rumeurs, quelques firmes chinoises auraient déjà contacté Huawei dans le but de remplacer éventuellement Android par HarmonyOS dans leurs futurs produits. Parmi les marques intéressées, les rumeurs mentionnent Oppo, Vivo, Xiaomi et Meizu. Considérant le fait que Xiaomi s’est lui aussi retrouvé temporairement sur la liste noire américaine, il ne serait pas étonnant que ces fabricants chinois cherchent stratégiquement à s’émanciper eux aussi de Google. Ces firmes n’ont pas confirmé ou infirmé ces rumeurs, mais Huawei leur a clairement ouvert la porte.
Un déploiement massif à venir sur les anciens appareils de la marque
Comme le laissaient présager les rumeurs, HarmonyOS sera déployé mondialement dans les prochains mois sur plus de 100 modèles d’appareils, récents comme anciens. Huawei Central propose une liste (en anglais) des appareils concernés. Il y a quelques semaines, Huawei avait déjà affirmé vouloir déployer son système sur plus de 300 millions d’appareils d’ici la fin de l’année 2021. Dès le 2 juin, les séries de téléphones Mate 40 et P40, de même que le Mate 30 sorti en septembre 2019, devraient commencer à recevoir le nouvel OS (du moins pour les appareils en Chine). On ne sait pas pour le moment comment et quand chaque appareil pourra être mis à jour.
On peut revoir la conférence de Huawei traduite en français ici (sautez environ 30 minutes au début) :